Simulation de la réalité

Des modèles universaux simulent l'avenir, comme par exemple "Die Grenzen des Wachstums".[1] On essaye, par formalisation et simulation, de prévoir les conséquences des décisions politiques; c'est oublier que les réalités de l'ordinateur, qui sont uniquement fondées sur une pensée orientée sur les sciences naturelles, provoquent un isolement de la classe politique par rapport aux mouvements sociaux, leurs motifs et leur langage. Pour être plus rentable, on obéit aux suggestions de la "machine pensante", ce qui affaiblit la sensibilité aux problèmes humains et sociaux. Les réseaux d'ordinateurs sont les cordons nerveux de notre époque. Ils produisent des données de décision reflétant une réalité formalisée et réduite à des bits et des octets, ne donnant ainsi qu'un portrait uniformisé de notre société. "La réglementation devient le principe de l'événement social et la politique risque de se figer en une technique vidée de son contenu social".[1a] Même si la Fédération et les Länder de la République Fédérale d'Allemagne ont adopté des lois sur la protection des informations traitées par ordinateur, celles-ci n'assurent aucun contrôle démocratique d'une science du pouvoir moderne, contrôlée électroniquement. De ce fait, les structures autoritaires sont inéluctablement renforcées et l'élite politique informée peut plus facilement accrôitre ses pouvoirs. Personne ne peut réfuter les "vérités" produites par l'ordinateur, parce qu'elles sont trop vagues, trop complexes; de plus, ce dernier n'a même pas une vue d'ensemble. L'engagement politique individuel se réduit au petit domaine personnel"; ceci est déjà perceptible dans le retour à la fragmentation des problèmes, dans le patriotisme renaissant, dans l'accroissement d'activités locales comme les fêtes de rue, ainsi que dans l'apathie politique. C'est dans la grande politique (celle qui élabore les voies du futur) que commence le règne de l'ordinateur, qui ne respecte pas les principes démocratiques et éthiques.

A côté de cette simulation des décisions économiques et politiques, une autre tendance voit le jour: l'ordinateur simule à présent l'homme lui-même.

"ll est blond, il a les yeux bleux, il est beau, il a de la personnalité; Max Headroom, nouvelle vedette des télévisions britanique et américaine, a ce petit quelque chose en plus : le charme d'un fis d'ordinateur'! Quiconque regarde bien Max Headroom est fasciné. Le premier animateurvedette artificiel du monde a presque une apparence, des mimiques et un langage humains." [2]

Headroom émerveille surtout ses téléspectateurs des chaînes "Channel Four" en Grande Bretagne et "Home Box Office" aux Etats-Unis par ses exposés philosophiques et a déjà acquis un énorme cercle d'admirateurs. Il est étonnement crédible lorsqu'il parle de sentiments humains. Cette invention de Annabel Jankel et Rocky Morton, équipes londoniennes de vidéo et de conception, a pris Matt Frewer comme modèle. L'acteur est filmé "piece par pièce" en video et est transformé de telle manière par de multiples programmes qu'il devient manipulable par des instructions machine. Grâce à quelques erreurs programmées - parfois, il bredouille un peu, ou il se déplace tout à coup par mouvements saccadés, n'utilise pas les termes appropriés,... - le téléspectateur perd sa peur du "monstre technique: quiconque sent la peur le gagner à l'apparition de Max Headroom est désarmé par sa maladresse."[3]

Cette simulation humaine n'est pourtant qu'une petite partie d'une évolution qui a été amorcée il y a quelques années seulement. Sur les écrans, on a créé un univers visible qu'il n'est presque plus possible de distinguer du monde réel. De telles simulations peuvent être très utiles si elles restent limitées aux sciences naturelles et à la technique, p. ex. pour mettre en évidence la formation des chromosomes, ou pour que des élèves pilotes puissent s'entraîner à voler dans des conditions difficiles à moindre risque; par contre, elles se justifient moins si elles entraînent une disparition des limites entre le monde réel et irréel.

Mais est-il encore vraiment possible de garder son indépendance envers les machines intelligentes actuelles, de limiter leur utilisation? Si cela paraît difficile aux adultes, comment les enfants et les adolescents y parviendraient-ils? Les premiers dégats sont déjà perceptibles chez nos enfants; sont-ils devenus lesvictimes de l'ère de l'électronique? Une "révolte silencieuse"[4] s'annonce-t-elle consistant en un rejet de la réalité avec une logique froide, et non, comme chez les fils et filles rebelles d'antan, qui propageaient leurs idéaux et leurs sentiments?

L'ordinateur est un symbole éloquent d'opposition à la mode "écolo" des parents, qui tirent leurs exigences morales, dans la société, de leur activisme écologiste et pacifiste. Les règles précises de la programmation remplacent les débats d'orientation plus psychologisante . Les "computerkids" rejettent la mode alternative*, qui est depuis longtemps devenue pour eux une culture de masse, une attitude de sacrifice. "L'ordinateur fait ainsi fonction de médium par lequel ils se révoltent non seulement contre les révoltés d'hier mais aussi contre les courants culturels principaux de scepticisme envers la technique ; et ils se considèrent par là comme avant-gardistes, parce qu'ils comprennent quelque chose que les autres craignent.[5]

En quoi consiste donc l'éclat mythologique de l'ordinateur et d'où vient la fascination qu'il exerce sur les jeunes? Certaines explications classiques sont déjà connues : "un ordinateur a réponse à tout, est d'humeur égale; il est par ailleurs un partenaire". De plus, il possède une chose avec laquelle les enfants de notre société moderne ont grandi : un écran; en outre, "la programmation (...) (crée) une sphère logique contraignante dans laquelle on peut se mettre à l'abri d'un monde rempli de problèmes contradictoires".6 Une tendance apparemment récente, par contre, est que les "computerkids" s'approprient un avenir auquel leurs parents n'ont fait que se résigner, gardant leurs craintes et leurs critiques face à une telle civilisation. Le vocabulaire psycho-pédagogique imposé par les différents mouvements d'émancipation exige des enfants qu'ils communiquent et s'ouvrent constamment. Même si les anciens modes d'éducation ont été en grande partie abolis, la dominante pédagogique dans l'éducation a créé une situation presque insupportable pour les enfants, ceux-ci étant moralement obligés de se confier, de dévoiler leur vie intérieure. Comme les parents, qui sont sensés être omniscients, n'ont que rarement accès à l'informatique, ils perdent une partie de leur pouvoir et de leur autorité dans le monde apparent propre à leurs enfants.

L'informatique, avec son langage particulier, est le médium idéal pour une communauté fermée qui ne s'oriente qu'en fonction de l'objet et ne veut pas adopter le code et les abréviations du contre-langage utilisée par les groupes auxquels ont appartenu les parents. Cela permet à la nouvelle génération de s'enfermer en vase clos et d'ainsi vivre leurs rêves indépendamment de la compréhension sans cesse aux aguets du monde des adultes et, sans être dérangés par la "sociabilité forcée", se soustraire aux rituels et modes des subcultures new wave, punk, pop et hard rock. Cette subculture anti-subculture[7] convient parfaitement aux timides et garantit la solitude "asociale".

L'ordinateur : un portrait de l'homme?

Les "computerkids" ne sont pas les seuls à considérer cette machine intelligente comme quelque chose de neuf et d'excitant; les parents, eux, la craignent, la trouvant puissante et menaçante et veulent donc la dominer. L'ordinateur, cet agent autonome que l'homme a choisi comme partenaire, aide celui-ci de bonne grâce, mais ne fait pas toujours ce qu'on attend de lui; il est alors "sournoisement éliminé". D'où vient ce portrait métaphorique de l'homme? Seraient-ce les producteurs des systèmes qui le suggèrent régulièrement aux utilisateurs (lors de la conception et de la réalisation des systèmes)?

Depuis des siècles, l'homme rêve d'assistants et d'artistes automatiques et leur ressemblant: les andrôïdes. Les plus anciens témoignages de ce rêve remontent à la Grèce antique. Dans l'Iliade, Homère décrit les servantes dorées du dieu Héphaïstos, qui étaient dotées de bon sens, d'une voix et d'un grand savoir-faire artisanal. Les andrôïdes étaient d'essence divine. Aristote lui-même dans "La politique", esquisse sa vision d'un monde peuplé d'automates travaillant pour l'homme. On trouve en outre, dans de nombreux récits de la Grèce antique d'Arabie, de Chine et de l'Europe chrétienne, des descriptions de statues mobiles, de poupées merveilleuses, souvent dotées de la parole. Mais la plupart du temps, le rêve et la réalité s'y confondent. Ainsi, dès le 13è siècle, Albert Magnus aurait construit un automate ayant forme humaine, qui ouvrait la porte aux visiteurs et saluait.

Les constructeurs d'andrôïdes ne suscitaient pas seulement l'admiration de leurs contemporains; souvent, leur imitation de la nature et leur concurrence sacrilège avec le Dieu créateur étaient condamnées comme blasphématoires. Ce n'estqu'au 17è siècle que la philosophie des lumières permit à ces inventeurs de créer de nouvelles idées. Grâce au mouvement à ressort pour la propulsion et au rouleau détacheur pour la direction, les constructeurs d'andrôïdes, qui avaient dû jusque là se contenter des poids et de l'eau comme forces motrices, disposaient de meilleures conditions. Les poupées articulées connurent leur heure de gloire au 18è siècle, époque où, grâce à la mécanique, les plus beaux automates purent être construits, surtout par Jacques Droz, son fils Louis et Jean-Frédéric Leschot de Neuchâtel, trois horlogers suisses. Leurs poupées imitaient les gestes humains jusque dans les moindres détails, avec des roues dentées, des rouleaux détacheurs et des leviers. Le Français Jacques de Vaucanson fut le premier à transposer ses connaissances acquises pendant ses loisirs en construisant des andrôïdes à la mise au point de machines destinées au monde du travail; c'est ainsi qu'il inventa les métiers à tisser la soie mécaniques, ce qui lui valut d'être nommé inspecteur royal de la manufacture française de la soie.

L'évolution technique du 19è siècle laissait peu de temps aux petits jeux avec des andrôïdes à forme humaine. L'industrialisation naissante avait besoin de toutes les forces créatives pour construire des machines, augmenter l'intensité du travail humain et obtenir le revenu maximal avec une productivité maximale. Les hommes artificiels disparaissaient de la littérature, comme les poupées de E.T.A. Hoffman ("Olympia") ou comme dans le film "Metropolis" de Fritz Lang. Ce "cauchemar de l' humanite" ne fut appelé "robot " (ce qui signifie en fait "corvée") qu'en 1921, dans la pièce "R.U.R." de l'écrivain tchèque Karel Capec.

Avec l'avènement de l'informatique, on observe une évolution du vocabulaire. Ainsi, des concepts comme "communication", "information" et "intelligence" ont acquis une nouvelle signification, et leur premier sens sera bientôt archaïque. Information et communication, p. ex., désignaient auparavant des relations sociales. L'informatisation provoque actuellement une modification de ce sens : le concept de communication, qui impliquait qu'au moins deux personnes étaient réunies en un lieu, s'applique maintenant à des réseaux et des appareils techniques, pour désigner un processus technique.

Un problème crucial se pose actuellement: comme nous ne pouvons plus exprimer clairement ce que nous voulons dire, il devient plus facile, pour les techniciens, d'appliquer au domaine technique certains concepts qui ont éthymologiquement un autre sens. Le stade suivant sera lorsque ces mots (p. ex. communication) n' auront plus qu' un sens technique. Et nous ne nous seront même pas rendu compte de ce changement. La génération suivante, pour laquelle l'informatique est une occupation naturelle, ne connaîtra plus du tout ce problème, du moins pas sous cette forme.

L'humanisation de l'ordinateur se retrouve dans les concepts techniques; on utilise des termes humains pour décrire des appareils techniques: l'ordinateur comprend, voit, entend, parle. Ces anthropomorphismes viennent du domaine de la communication humaine et sont aujourd'hui systématiquement utilisés dans le langage courant, dans la publicité et dans les revues.

L'anthropomorphose est de plus en plus perceptible. Lorsqu'on dit "c'est la faute de l'ordinateur!", on attribue à cette machine des qualités humaines. Des modifications de la langue entraînent des modifications psychologiques ou de la perception. "L'ordinateur est devenu une métaphore interprétée littéralement".[8] Au début de l'ère de l'informatique, on aurait ressenti la remarque suivante comme une métaphore: "l'ordinateur est en train d'y réfléchir"; aujourd'hui, il semble être devenu naturel d'accepter que l'ordinateur pense.

Métaphores anthropomorphiques

On a volontiers recours aux métaphores anthropomorphiques pour décrire de nouvelles situations et de nouvelles connaissances.[9] Dans son dictionnaire de linguistique, Th. Lewandowski définit les métaphores comme des

"transferts de sens ou de désignation, en raison de similitudes entre les formes extérieures, dont la fonction et l'emploi sont déterminés par la comparaison implicite ou la réunion d'idées; transfert conscient et voulu, en raison d'une similitude de sens et à des fins esthétiques. C'est le remplacement d'une expression par une autre, toutes deux ayant au moins un caractère sémantique en commun.[10]

La métaphore est une trope11, un changement de sens ou de nom. Ce qui la distingue d'une comparaison, c'est d'abord, sur le plan morphologique, l'absence d'un mot comparatif ("comme"); de plus, la comparaison établit souvent un lien entre des faits complexes, comparant le contenu de toute une phrase avec le contenu d'une autre phrase. Ces deux concepts de métaphore et de comparaison sont une mise en parallèle, et non une fusion de termes. Dans la conscience du locuteur, le signifé des différents concepts reste distinct et parfaitement intact. Cependant, la métaphore, au moment de sa création, étend le caractère polysémique d'un mot, pourvu que ce mot puisse contenir un nouveau sens sans perdre l'ancien.

Lorsqu'une métaphore est créée au niveau de la parole, il n'est pas sûr qu'elle entre dans la langue. Un instinct d'imitation peut prendre effet, le locuteur utilisant la métaphore en partie pour elle-même, mais également en partie parce qu'il espère ainsi acquérir un certain prestige social ou l'air d'être à la mode, dans le vent.[12] L'élément émotionnel joue aussi un rôle important dans la formation et la diffusion de métaphores. Dans la littérature à grand tirage, on peut lire qu'en fonction de la fréquence avec laquelle elle est utilisée, la métaphore et ses éléments d'influence (confusion, mélange de différents domaines émotionnels, caractère imagé) s'affaiblissent. On distingue donc une première phase, durant laquelle la métaphore est encore imagée, et une seconde phase, durant laquelle le caractère imagé s'estompe, la métaphore n'étant plus que la désignation adéquate d'un concept. Que ce soit dans le langage technique de l'informatique, ou dans la publicité pour un nouveau produit, ou encore pour cultiver l'image de marque d'un produit existant, cette seconde phase marque le début d'un processus anthropomorphique profond.

L'ordinateur paraît ainsi être devenu un être produisant des "veuves d'ordinateurs" et constituant une véritable "drogue" pour plus d'un utilisateur. L'homme se sent visé d'une manière plus foudroyante, plus intime, même, qu'il ne l'a jamais été. Cette influence touche la personnalité, l'identité et même la sexualité. De tels phénomènes sont surtout utilisés dans la publicité pour le matériel et le logiciel, et dans la littérature spécialisée. Le Dr. Neuhaus-Gruppe Hamburg, p. ex., faisait de la publicité pour un modem intelligent avec une entraîneuse aguichante.

L'ordinateur est devenu un partenaire, on parle de "micro-contacts" et constate : "c'est des valeurs intérieures que tout dépend". Le plus petit, au prix de..., est désigné comme "bébé", "l'adulte", au prix de..., comme "homme sérieux", et l'(AT)tirant, au prix de ..., est représenté avec un noeud-papillon et une moustache. Dans un livre de blagues, on voit un ordinateur assis sur un banc, dans un parc, avec sa dulcinée, au clair de lune[13] ; un peu plus loin, une blague intitulée "premier contact avec l'ordinateur" montre un homme "couchant" avec un ordinateur.[14]

Compaq a fait insérer le texte suivant dans une brochure publicitaire:

"Intégrer un ordinateur dans une entreprise
signifie 'chercher un partenaire'
signifie 'choisir un partenaire'
signifie 'réfléchir - dès le début'"

La CPT Text-Computer GmbH invite ses clients, dans la revue d'informatique MICRO (11/85) à "rester, sans crainte, fidèles à (leur) PC" et dans CHIP (mars 1988), PROELECTRONIC annonce : "avec nos ordinateurs, nous voulons devenir le partenaire de l'Allemagne!"

L'ordinateur est non seulement représenté comme un être humain, ayant un visage, des mains et des pieds, mais également comme un monstre amical, mangeant et posant des questions.

DBase lll Plus, un système de banques de données, est décrit comme " le champion toutes catégories" (MICRO 11/86) et QUME élit le PC comme faiseur d'ACTION' (CHIP,juin 1986).

A partir des messages publicitaires de l'industrie de l'informatique, il est possible d'écrire des histoires "humaines":

"Où va donc le PC ?" demande Philips "avec l'aimable autorisation de l'IBM-AT" (PC-Welt 9/86). Chez "l'enfant prodige" (carte EGA-Wonder-plus), fut la réponse, et "le rejeton d'une bonne maison" (HP-Vectra, Micro 6/85), "un Texan rapide" (Compaq, Micro 6/85) était, en tant que "Finnois qui a de la classe" (MICRO 6/85), "le bienvenu dans une bonne famille" (ITTxtra, Micro 6/85);

ou

"Fichue multifonctionalité', gémit l'ordinateur!" (Micro 11/85), le "chef d'orchestre" (Amiga, DataWelt 4/86) en raison de la 'fête musicale de l'unité centrale" (Micro 11/85)- mais, malgré tout: "l'élite s'élargit" (Chip 6/86);

ou

"Mon nom est PENMAN' (Micro 4/86) dit "le micro-entrepreneur" (Micro 10/86); et il s'acheta un nouveau "costume informatique" (Micro 10/86);

ou

"Les données et le texte travaillent main dans la main" (Konica U-Bix, Micro 3/86), mais "maintenant, le PC apprend à parler";

ou

Si "vous tombez du ciel comme maître" (Chip 6/86) et que "les idées qui donnent des ailes à votre PC" (Chip 6/86) deviennent "les opinions d'une banque de données" (Micro 4/86), "l'erreur est exclue" (SKC - publicité pour des disquettes);

Une autre tendance s'est dessinée à Hanovre lors de la CeBIT'88, la plus grande foire de l'informatique. L'ordinateur n'est plus "seulement" un partenaire mais est aussi devenu, entre-temps, un protecteur pour l'homme (voir Bild CeBIT'88).

Ces exemples sont-ils vraiment représentatifs ? Reflètent-ils l'attitude générale face à l'ordinateur ? De telles questions ont été examinées dans une étude quantitative rétrospective sur dix années. Des revues d'informatique de 1978 à 1988 ont été analysées, totalisant 28.950 pages sur des anthropomorphismes verbaux et pictographiques. On trouva ainsi 1840 représentations humanisées de l'ordinateur. Lors de l'exploitation des résultats qui suivit, il s'avéra qu'en 1978, on trouvait en moyenne plus de 12 anthropomorphismes pour 100 pages, chiffre qui diminuait cependant continuellement, jusqu'à 6 anthropomorphismes pour 100 pages en 1988. Des tendances analogues furent constatées en ne considérant que les textes techniques (dans les titres, les textes en caractères gras, les photos et les graphiques): le nombre moyen d'anthropomorphismes y diminuait de moitié durant cette période. Par contre, exactement l'inverse se produisait dans la publicité. (La proportion de textes et de publicités avait été calculée au moyen d'un facteur statistique). Ces résultats démontrent qu'il y a dix ans, lorsque les premiers ordinateurs étaient encore relativement rares dans l'économie, l'administration et l'éducation, leurs facultés étaient surestimées par le public. De telles exagérations créèrent des angoisses - justifiées ou non - comme c'est toujours le cas lors de l'introduction de toute nouvelle technologie. Dans les années qui suivirent, et avec le développement croissant de la microélectronique, les connaissances de ce qu'un ordinateur pouvait vraiment faire s'améliorèrent également, petit à petit. Ces machines furent démysthifiées quand on reconnut que l'ordinateur - malgré ses performances énormes -, lorsqu'il était correctement programmé, faisait malgré tout seulement ce que l'homme attendait de lui. Il n'était donc pour l'homme qu'un organe de remplacement. Cependant, les publicitaires ont réagi contre cette attitude rationnelle. Ils pensent de plus en plus que les acheteurs potentiels ne s'y connaissent pas vraiment en informatique et qu'on pourrait leur donner l'espoir qu'en achetant un ordinateur, ils trouveraient un partenaire ayant des traits caractéristiques humains. Mais peut-être veulent-ils simplement débarasser les acheteurs des angoisses qu'ils éprouvent face aux machines qui avec leurs facultés humaines, leur ressemblent de plus en plus. Les résultats de ces analyses de revues permettent cependant de diminuer l'importance si souvent accordée au malaise envers l'ordinateur. Si on pensait encore récemment que les hommes avaient dû se réorienter, trouver un nouveau point de repère idéologique, lorsque Copernic leur eût appris que la terre, et donc l'homme, n'étaient pas au centre de l'univers, lorsque Darwin leur eût annoncé que l'homme n'avait pas été créé par un acte divin particulier mais surtout qu'il était le résultat d'un lent processus évolutif, que Freud leur eût dit que l'homme n'était pas totalement maître de lui-même mais était gouverné d'une manière déterminante par des pulsions et des forces inconscientes, nous devrions maintenant ne plus avoir aucune crainte que l'homme ne soit plus le seul à être doté d'intelligence, et que son intelligence puisse même éventuellement être dépassée par les machines qu'il a créés lui-même. L'introduction de l'ordinateur dans toutes les sphères de la vie humaine s'accompagne d'une amélioration du niveau d'éducation des personnes concernées par ce secteur, et ce fait doit entraîner une objectivation dans les relations avec l'ordinateur. L'enquête a montré que l'ordinateur est à nouveau considéré comme une machine intelligente, certes, mais pas comme un partenaire humain. Ce n'est que si l'ordinateur est mysthifié comme partenaire humain ou même comme surhomme qu'il peut devenir dangereux psychiquement pour le comportement social humain. La publicité devrait, elle aussi, contribuer à l'objectivation des relations avec l'ordinateur, et non exploiter la difficulté qu'éprouve l'homme d'aujourd'hui à communiquer en lui donnant de fausses illusions, de faux espoirs de trouver un "partenaire sociable".

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